Et si l’on rendait l’AAH imposable ? (Partie 1/2)
Non je ne suis pas (de nouveau) tombé sur la tête, et je n'écris pas non plus cet article suite à une insolation 😉
Pendant mes vacances j'ai voulu traiter une question sérieuse que plusieurs personnes avant moi se sont posées - dont Marcel Nuss et les Handignés123 - comme potentielle réponse à l'abolition du "prix de l'amour", vous savez, cette situation où lorsque vous, personne handicapée, décidez de vous déclarer en couple à la CAF avec une personne qui travaille, et qu'alors vous perdez tout ou partie de votre allocation adulte handicapé (AAH), devenant ainsi financièrement dépendant de votre conjoint. C'est l'histoire de Xavier Jolly tétraplégique, de Richard Guilmette, et de tant d'autres, qui doivent renoncer à la vie de couple, à cause d'un mode de calcul injuste qui mériterait d'être révisé. C'est l'objet de cet article... mais avant laissez moi vous expliquer...
Introduction
Dans un précédent article, "Le mariage pour tous, sauf pour les personnes handicapées", j'expliquais en détail le calcul engendrant cette situation de dépendance, mais surtout, j'énumérais toutes les fois où cette question fut soulevée par différents députés à l'assemblée nationale. La même réponse était systématiquement donnée, un simple rappel à la législation stipulant que
L'AAH est un minimum social et non une prestation compensatoire, et obéit de fait au principe de subsidiarité.
Autrement dit de par son caractère juridique, l'AAH est vouée à la prise en compte des revenus du conjoint. Il n'y a dès lors plus aucun débat à avoir, plus aucun argument logique à avancer, plus aucune révision envisageable face à un tel argument d'autorité, "c'est comme ça" dirait l'autre. Pour autant, le droit n'est pas immuable, il subit constamment des réformes (la loi Macron récemment, revient sur un grand nombre de dispositions du droit du travail), et après tout le statut de l'AAH n'est pas non plus gravé dans le marbre... Pourquoi ne pas sortir l'AAH des minima sociaux ? Et si l'on rendait l'AAH imposable ?
- Plan -
PARTIE I : Explications du fonctionnement actuel de l'AAH comme minima social avec prise en compte des revenus du conjoint.
- Comment est calculée l'AAH pour un bénéficiaire célibataire ?
- Si je travaille et cumule en partie l'AAH, combien d'impôt vais-je payer ?
- De combien l'AAH va-t-elle diminuer si je me déclare en couple ?
- Qu'est-ce que cela change si on se marie ? Et sur nos impôts ?
PARTIE II : Explications du fonctionnement de l'AAH imposable et déconjugualisée (sans prise en compte des revenus du conjoint).
- Quelle différence d'AAH versée pour mon couple une fois déconjugualisée ?
- Mais si l'AAH devient imposable, je vais devoir payer plus d'impôt !? Ne serait-ce pas là un manque à gagner ?
- Comparaisons des revenus réels (après impôt) avec l'ancien ou le nouveau mode de calcul, selon si on vit en concubinage ou mariés.
- Que se passe-t-il si on décide d'avoir des enfants ?
- Conclusion
L'article s’articule donc en deux parties, faisant chacun l’objet d’un billet. L’innovation est principalement contenue dans le second billet, tandis que le premier s’efforce de décrire le fonctionnement actuel des choses. Allons-y ! 🙂
PARTIE I : Explications du fonctionnement actuel de l'AAH comme minima social avec prise en compte des revenus du conjoint.
Comment est calculée l'AAH pour un bénéficiaire célibataire ?
Si vous ne percevez aucun revenu vous touchez l'AAH à taux plein, à savoir 800,45 € en 2015 (éventuellement majoré de la MVA et du complément de ressources4 ). Si en revanche vous touchez un salaire, celui-ci sera soumis à un abattement 80/40 pour déterminer le montant de l'AAH versée. J'explique tout ceci en détail dans cet article fondamental :
--> L'AAH pour les nuls, comprendre par l'exemple <--
Pour résumer, un petit graphique qui représente l'AAH versée suivant votre salaire :
Si je travaille et cumule en partie l'AAH, combien d'impôt vais-je payer ?
Tout d'abord, si vous ne percevez aucun revenu, et donc que vous touchez l'AAH à taux plein, vous ne payerez pas d'impôt, car l'AAH n'est actuellement pas imposable.
Si maintenant vous travaillez et que vous percevez un salaire, celui-ci sera soumis à l'imposition. Regardez le graphique ci-dessous qui vous donne le montant d'impôt à payer (mensuel) en fonction de votre salaire, suivant que vous êtes valide ou invalide (les personnes handicapées bénéficient d'une demi part supplémentaire et d'abattements spécifiques dans le calcul de l'impôt) :
Pour les détails du calcul de l'impôt vous pouvez consulter mon article :
--> Impôt 2015 : explication du calcul pour une personne valide et invalide <--
Puisque l'on sait maintenant combien on doit payer d'impôt suivant ses revenus, on est capable de calculer ses revenus mensuels réels, c'est-à-dire ce que l'on touche effectivement chaque mois après déduction des impôts. Plus formellement :
Le graphique suivant vous donne vos revenus mensuels réels (cumul de votre salaire et de l'AAH versée après déduction des impôts). Nous reviendrons sur ce graphique dans la deuxième partie.
De combien l'AAH va-t-elle diminuer si je me déclare en couple ?
Dans les dispositions actuelles, si vous vous déclarez en couple, le montant de votre AAH sera directement relié au salaire de votre conjoint. En effet au calcul de votre assiette (abattement 80/40) viendra s'ajouter celle de votre conjoint (abattement 20%), qui nous allons voir - même en dépit d'un doublement du plafond - diminue le montant de l'AAH versée pour une grande majorité des bénéficiaires.
Quels effets sur l'AAH versée ?
- Cas d'un bénéficiaire qui travaille (17%)
Le graphique ci-dessous donne l'AAH versée au bénéficiaire en fonction des salaires du bénéficiaire et de son conjoint.
- Cas d'un bénéficiaire sans emploi (83%)
Il s'agit là de la majorité des bénéficiaires, estimé à 83% sans emploi par la CNAF5 ce qui correspond sur le graphique précédent à la ligne de coupe horizontale salaire invalide = 0. Représenté différemment voici comment diminue l'AAH du bénéficiaire (qui n'a que ça comme revenu !) en fonction du salaire de son conjoint :
Tant que votre conjoint gagne moins de 1100 €, vous continuerez de toucher l'AAH à taux plein (800,45 €). En revanche si votre conjoint gagne plus de 1100 € (autrement dit déjà tous ceux qui travaillent à temps plein, puisque le smic net est de 1139 €) alors votre AAH sera diminuée, jusqu'à être totalement supprimée au delà de 2200 € !
On comprend mieux pourquoi bon nombre de personnes handicapées renoncent à la vie de couple si le prix à payer est de ne plus pouvoir subvenir à ses propres besoins, car l'handicap lui, n'est pas diminué proportionnellement aux revenus du conjoint. Il n'est donc pas acceptable que la situation pourtant déjà difficile d'une dépendance physique, soit majorée par l'humiliation qu'ajoute cette dépendance financière au conjoint.
Qu'est-ce que cela change si on se marie ? Et sur nos impôts ?
Strictement rien du point de vue de la CAF, que vous soyez en concubinage ou que vous soyez mariés, le même calcul prenant en compte les revenus du conjoint s'applique.
Allez un petit exemple en image6 pour illustrer la situation 😉
"OK même combat alors, mais rassure moi on a au moins des avantages fiscaux à se marier ?"
Pas nécessairement... c'est ce que je croyais moi aussi avant d'étudier la question, et il y a des cas où c'est financièrement désavantageux de se marier. Voyons de plus près.
- Cas d'un couple de personnes valides
Sur les graphiques ci-dessous je compare sur la première figure les impôts payés par le couple dans le cas où ils vivent en concubinage (somme des impôts séparés, une part fiscale chacun) ou mariés (impôt sur la somme de leurs revenus, deux parts fiscales). Sur la seconde figure je trace la différence des deux pour savoir dans quel cas la différence est positive ou négative, ce qui correspond respectivement à "le concubinage est plus intéressant" ou "le mariage est plus intéressant" au regard de l'impôt bien entendu, que je résume sur la troisième figure. En général les couples tirent majoritairement avantage de l'imposition commune, cependant on constate que sur toute la zone rouge le fait de s'être marié augmente les impôts du couple ! Ce qui rejoint en partie les conclusions de l'insee78, il y a un avantage à se marier lorsque les revenus des conjoints sont suffisamment inégaux, dans le cas contraire où les revenus des conjoints sont relativement homogènes cela peut être désavantageux pour le couple.
NB : Attention ces graphiques ne sont fournis qu'à titre indicatif, pour avoir une idée des cas de figure où le mariage induit une augmentation d'impôt ; la prime pour l'emploi par exemple, n'a pas été prise en compte dans mes simulations, dans la mesure où elle dépend du nombre d'heures travaillées dans le cas de temps partiels. Je vous recommande vivement d'effectuer une simulation de votre cas particulier sur le site :
--> Simulateur de l'impôt sur le revenu 2015 <--
- Cas d'un couple valide-invalide
Voici un schéma décrivant l'imposition commune d'un tel couple.
On observe de même une zone de désavantage fiscal :
- Cas d'un couple invalide-invalide
Bon maintenant que vous avez les bases, on va pouvoir passer aux choses sérieuses, je vous invite à découvrir le nouveau mode de calcul que je propose dans la partie II 😉
--> Découvrez le nouveau mode de calcul de l'AAH (Partie II) <--
Manifeste des Handignés communiqué à Eric Bio-Farina (voir citation, item en gras AAH + précisions) - lien ↩
Rapport de Marcel Nuss pour la commission des affaires sociales du Sénat, partie "Ressources des personnes handicapées" (p.36) [juin 2007] - lien ↩
Les chroniques d'un autre monde : (in)justices sociales, blog de Marcel Nuss [avril 2014] - lien ↩
Information officielle concernant l'AAH, la MVA et le complément de ressources - lien ↩
Rapport de CNAF l'e-ssentiel, "Les bénéficiaires en emploi de l'allocation adulte handicapé" (page 1) - lien ↩
Illustration réalisée par le site "Rendez Vous Citoyen" sur la base des chiffres de mon article "Le mariage pour tous, sauf pour les personnes handicapées" ↩
L'imposition commune des couples mariés : un avantage qui n'est pas systématique, INSEE - lien ↩
Se marier ou non, le droit fiscal peut-il aider à choisir ? INSEE - lien ↩
Re, c’est Lili qui revient faire un tour…
Que de schémas, de petits dessins illustratifs afin de nous « éclairer » ! 🙂
Ce qu’il faudrait comprendre à la base (je pense) c’est que déjà pour un couple valide qui perçoit moins de 2 000 euros (que ce soit à deux ou une personnes qui bossent) il est difficile de s’en sortir.
Donc, si on regarde sur notre petite feuille d’impôt où nous nous situons dans la tranche d’impôt on arrivera facilement à être imposable.
Est-ce qu’en plus de ça, mais là je parle des personnes qui ne peuvent pas travailler ou si peu, devrait-on rendre l’AAH imposable ?! je dis « non » ! son salaire et ses conditions de travail ne pourraient justifier l’imposition.
Puis, pourquoi, parce que justement on ne parle pas de la personne qui ne travaille PAS dans ce cas-là !
Imaginer un tri « sélectif » serait le gros « foutoir » ! ou bien le faire par pourcentage d’AAH, ou bien revoir la tranche d’impôt en fonction justement d’handicapés en couple.
De toutes façons, si les politiques font qu’ils ne se bougent pas pour changer le plafond C.A.F. en étant à plus de 50 % d’handicap c’est bien que rien n’avance, du moins c’est mon point de vue.
Si je prends mon exemple, la MDPH m’a accordé encore une prolongation de mon dossier (encore heureux puisque mon handicap ne s’améliorera jamais et s’accentue) avec 5 % de capacité à travailler ! eh bien ! quand on pense que je ne peux pas conduire et faire une crise d’épilepsie à tout moment, que ce « mal » impute sur le langage je ne vois pas pourquoi on a jugé bon de mettre ces « 5 % ».
Il y a des images qui créent le buzz, c’est étrange comme celles des handicapés offusquent plus qu’autre chose ! Comment se fait-il à l’heure actuelle et qu’après plusieurs pétitions amenées rien a été dit dans les médias pour cette AAH ?!
On parle d’RSA, de CMU mais combien connaissent vraiment l’AAH ?!
Lorsque j’en ai parlé autour de moi peu la connaissait ou pensait justement que cette allocation était donnée au couple sans « restriction » !
Bonne journée à tous, prenez soin de Vous,
Lili
Bonjour Lili,
Avez-vous lu la Partie II qui répond précisément à votre question ?
Vous découvrirez qu’un bénéficiaire qui ne travaille pas ou peu, sera de toute façon sous le seuil d’imposition (1800 euros pour une personne invalide !), donc ne payera pas plus d’impôt ! 🙂
Vous dites :
» Il serait alors envisageable de se rapprocher du gouvernement et d’organismes tels que l’INSEE pour mener à bien une étude qui débouche sur une proposition concrète ».
Toutes les propositions concrètes qu’on élabore…
Le Gouvernement sait parfaitement ce qu’il en découle et je pense que les organismes comme l’INSEE peut effectuer des statistiques facilement et rapidement.
Mais est-ce que nos politiques le désirent-ils vraiment ?!
Là est toute la question, y a-t-il la volonté politique de mener de telles études ? Je ne sais pas. Ce qui est sur, c’est qu’il ne faut pas uniquement compter sur la ministre pour espérer faire bouger les lignes. En effet, elle doit certainement répondre à un grand nombre de questions initiées par les députés, et donc celle-ci relative à l’AAH (bien qu’ayant déjà été posée plusieurs fois) ne doit pas représenter, à ses yeux, une priorité, ni un « sujet de débat brulant » comme l’est par exemple les délais d’accessibilité des lieux publics. En ce sens, tant que cette revendication demeurera ponctuelle et peu manifestée, il ne sera pas étonnant que l’on reçoive encore et toujours la même réponse, à savoir un copier coller de la législation actuelle. Autrement dit, si on veut que la prise en compte des revenus du conjoint cesse, il faut que les personnes handicapées elles-même sollicitent massivement leurs députés de circonscription. Et c’est seulement à cette condition, sous la pression du nombre, que la ministre sera susceptible de prêter une attention plus particulière à cette question, et pourrait décider de l’étudier.
Par ailleurs, l’INSEE est un organisme indépendant, des associations de poids tel que l’APF pourrait peut-être avoir recours à leurs services s’ils en faisaient la demande ?
Se mobiliser pour faire bouger les lignes, c’est l’objet de mon prochain article 😉
Bonjour et merci pour vos réponses Kévin !
C’est bien dommage qu’il n’y ait pas plus de manifestations aussi.
C’est vrai aussi qu’en ce moment il y en a tellement (des manifs) qu’on serons moins écoutés !
Vous auriez (je mets au conditiel oui) quel « impact » vous, pour faire écouter le Droit de personnes qui se battent pour le retrait de la prise en compte des revenus du conjoint dans le couple dont l’autre perçoit l’A.A.H ?! question que je me pose 🙂
Bonne journée,
Lili
Je vous en prie 🙂
A titre individuel, n’ayant aucune fonction d’élu politique, pas plus d’impact que quiconque. Comme toutes les batailles, si elles sont menées seules, les chances de réussites sont faibles. Je compte sur le nombre, même s’il ne s’agit pas de manifestations physiques, car l’outil internet permet tout de même de se livrer à des actions de masse, c’est ce que je vais tâcher de faire dans mon prochain article. Plus nous serons nombreux à solliciter nos élus, et plus la question sera susceptible d’être prise au sérieux et étudiée.
Bonne journée,
Kévin
1800€ c’est le seuil d’imposition pour les invalides. Mais tout le monde ne l’est pas. Pour les autres bénéficiaires le montant est bien plus bas. (environ 1500€). de plus qu’en est-il des taxes d’habitations et foncières qui dans certains cas ne seraient pas exonérées si la personne travaille et cumule avec un AAH devenue imposable…
je suis révoltée, le seuil de pauvreté est ‘il le même ? les personnes valides ont plus de besoin il est vrai qu’elles peuvent bouger allées dans les magasins avoir des envies.812 € MOIS C’ est suffisant pas de chaussures a acheter.